Daniel Kahneman – Pensée rapide et pensée lente

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Dans ce mode zoom, nous vous proposons de nous arrêter sur des concepts et auteurs présentés dans notre projet de roman graphique. Cette semaine, nous zoomons sur Daniel Kahneman, psychologue.

En 2002, le prix de banque de Suède en hommage à Alfred Nobel, ce qu’on appelle le Nobel d’économie, est remis pour la première fois à un psychologue, Daniel Kahneman. Leur motivation : “Avoir intégré les découvertes de la psychologie dans les sciences économiques, particulièrement celles concernant les jugements humains et les processus de prise de décision en situation d’incertitude ».

En 2011, Daniel Kahneman publie “Thinking Fast and slow”. Il synthétise et vulgarise ses travaux. Il explique que nous avons tous deux grands modes de pensée. 

Si je vous dis: « On ne met pas la charrue avant » … … « On ne vend pas la peau de l’ours avant de »… … « Tel père, tel… » … ou encore « pierre qui roule »…

Il est fort probable que rien que lisant ces débuts de phrase, vous les avez automatiques terminées. Imaginez maintenant que je vous demande ce que vous pensez de Alan « A ». Et que je vous dise que Alan est : intelligent, travailleur, impulsif, critique, opiniâtre et jaloux. Alors, qu’en penseriez-vous ?

Imaginez qu’en parlant d’Alan « B », j’eusse plutôt écrit Alan est : jaloux, opiniâtre, critique, impulsif, travailleur etintelligent. Auriez-vous pensé autre chose ? Ce sont les mêmes adjectifs, il n’y a que l’ordre qui change. Alors quoi ? Et bien si vous demandez à un groupe « A » ce qu’il pense du premier Alan « A », les réponses seront globalement positives. Par contre si vous demandez à un groupe « B » ce qu’il pense du  Alan « B », les réponses seront globalement négatives. C’est ce qu’on appelle l’effet de halo. Nous avons tendance à percevoir les personnes comme un bloc notamment en fonction des premières informations que nous percevons.

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Daniel Kahneman explique: « Les premiers traits de caractère de la liste changent le sens même de ceux qui les suivent. L’opiniâtreté d’une personne intelligente sera sans doute justifiée, et peut même susciter le respect, mais l’intelligence chez une personne jalouse et opiniâtre la rend plus dangereuse. L’effet de halo accroît le poids des premières impressions, parfois à un point tel que les informations suivantes sont pour l’essentiel perdue »[1].

Pourquoi l’âge de la mort d’Albert Einstein, est-elle si importante ?

Il y a quelques semaines, j’ai demandé à un premier groupe d’étudiants s’ils pensaient qu’Albert Einstein était mort avant ou après 93 ans. Je leur ai demandé ensuite à quel âge ils pensaient qu’Albert Einstein était décédé. J’ai alors demandé à un second groupe s’ils pensaient qu’Albert Einstein était mort avant ou après ses 63 ans. Et enfin, j’ai ensuite posé la même question soit leur estimation de l’âge où notre brave Albert trouva la mort. Dans le premier groupe la moyenne tourna autour des 83 ans. Dans le second groupe, elle était proche des 70 ans. C’est qu’on appelle le phénomène d’ancrage. C’est-à-dire qu’en cas d’incertitude, le chiffre donné va servir de point de référence.

Daniel Kahneman insiste : « Les effets d’ancrage représentent une menace. Vous êtes toujours conscient de l’ancre [le point de référence], vous y prêtez même attention, mais vous ne savez pas comment elle vous guide, comment elle limite votre pensée, parce que vous ne pouvez pas imaginer comment vous auriez pensé si l’ancre avait été différente (ou s’il n’y en avait pas eu). Cependant, vous devriez partir du principe que tout chiffre que l’on vous suggère à un effet d’ancrage sur vous ».

L’effet Floride

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Lors d’une expérience, il y a été demandé à des étudiant de 18 à 22 ans de l’université de New York d’écrire des phrases de quatre mots à partir d’une série de cinq mots : « Floride, oubli, chauve, gris et ridé ». On a ensuite invité les étudiants à rejoindre une autre salle pour un autre test. Sans le savoir, les étudiants étaient chronométrés. Il s’est avéré qu’ils se déplaçaient moins vite que les groupes contrôlés. C’est ce qu’on appelle l’amorçage. Kahneman explique : « L’effet Floride implique deux étapes d’amorçage. Tout d’abord la série de mots amorce des pensées sur la vieillesse, même si le mot vieux n’est jamais cité. Ensuite, ces pensées amorcent un comportement, une démarche lente, associé à la vieillesse. Tout cela est inconscient. Quand on les a interrogés par la suite, aucun des étudiants n’a signalé avoir remarqué que les mots avaient un thème commun et tous ont soutenu que rien de ce qu’ils avaient fait après la première expérience n’avait pu être influencé par les mots qu’ils avaient vus ».

Kahneman va même plus loin « Vous n’en étiez peut-être pas conscient, mais la lecture de ce paragraphe vous a amorcé vous aussi. Si vous aviez dû vous levez pour aller chercher un verre d’eau, vous auriez quitté votre siège un peu moins vite… ».

Simple, SIMPLE, SIMPLE

Il y a quelques années, le Front National avait produit une affiche : « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ». Avec les lettres 1 MILLION DE CHOMEURS et 1 MILLION D’IMMIGRES en capital. Cette campagne utilise ce qu’on appelle l’aisance cognitive. C’est-à-dire qu’une information simple, facile à comprendre, lisible et répétée, paraîtra plus vraie qu’une information plus complexe.  Oui, une information simple, facile à comprendre, lisible, répétée paraîtra plus vraie qu’une information plus complexe.  Je le répète, une information simple, facile à comprendre, lisible, répétée paraîtra plus vraie qu’une information plus complexe. 

Le lièvre et la tortue

Tout ce dont nous venons de parler (compléter de manière automatique des dictons, les effets d’ancrage, d’amorçage, d’halo, d’aisance cognitive…), tout cela est lié à un mode de pensée: le mode rapide.

Il est automatique, inconscient, multi-tâche, sans effort et donne un sentiment de fiabilité alors que comme nous l’avons vu, il ne l’est pas toujours. Il néglige l’ambiguïté et le doute. Il est biaisé pour croire ou confirmer. Là où notre autre mode pensée, le mode lent demande de l’effort, est énergivore, conscient, précis, adapté aux décisions complexes, mais surtout mono-tâche.

Le mode de pensée rapide influence de façon non consciente nos prises de décision, nos comportements. Nous amenant parfois à commettre des erreurs, à agir contre notre volonté ou nos intérêts. Pour Daniel Kahneman, il est important de comprendre ces influences. Il est essentiel de prendre conscience de ces erreurs. Alors bien sûr, puisque notre système lent est mono-tâche, nous ne pouvons pas traiter toutes les informations avec un mode de pensée lent. A nous d’apprendre à le mobiliser pour ce qui compte vraiment. Comment ? Une prise de distance critique par rapport à ce que nous faisons, décidons est salutaire. Se poser toutes des questions ouvertes (comment ? pourquoi ? qu’est-ce qui ?) qui nous ramènent vers notre attention consciente. Nous devons également apprendre à mettre nos intuitions en perspectives puisqu’elles font partie de notre mode rapide.

Il ne s’agit pas de dire que la pensée rapide est nécessairement mauvaise, que du contraire. Elle nous aide à fonctionner. Elle traite toute une série de décisions, d’actions qui ne doivent pas être conscientes. Par exemple, vous conduisez et à une centaine de mètres, le feu passe au rouge. Vous n’allez pas interrompre votre conversation avec vos passagers, en disant : « chuuut, il faut que je mon concentre pour savoir ce que je dois faire en tenant compte du vent, de la pente, de l’inertie, etc ». Vous allez naturellement freiner, peut-être même inconsciemment. Et le mode lent peut aussi nous pousser à la paralysie.  L’enjeu est de pouvoir choisir ce que nous mobilisons. Puisque, comme dans la fable du lièvre et de la tortue, ce n’est pas toujours le plus rapide qui a les meilleurs résultats.

[1] Daniel Kahneman, Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012

Pour aller plus loin sur l’approche de Daniel Kahneman: